Sunbeam-Talbot (1935-1956)

Publicité Sunbeam-Talbot 80 et 90 (1949)

Dernière mise à jour : 8 septembre 2019

Retour sur la période pendant laquelle ces deux badges furent réunis sous une seule et même marque…

En 1935 les frères Rootes acquirent la partie anglaise du groupe moribond STD (Sunbeam-Talbot-Darracq) au nez et à la barbe de William Lyons qui s’intéressait surtout à la marque Sunbeam mais en ratant l’usine de Suresnes récupérée à la même période par Antony Lago.

L’usine Sunbeam de Wolverhampton, non rentable, fut rapidement fermée et vendue. On tenta ensuite de perpétuer cette glorieuse marque en développant un modèle de grand prestige la Thirty. Le projet fut abandonné après la fabrication de 8 prototypes.

De son côté, l’usine Talbot de Londres (North Kensington) produisait avec profit une remarquable gamme de voitures six cylindres culbutés à boite Wilson conçues par George Roesch. On les prolongea encore 2 ans sous une forme légèrement simplifiée.

Premier succès : la Talbot Ten

En 1936, à partir de la Hillman Minx, George Roesch développa une petite voiture sportive pour concurrencer la Rover Ten, leader de cette niche. Il allongea légèrement l’empattement et, à son corps défendant, se borna à pousser le 4-cylindre latéral de 30 à 38 ch. Derrière la traditionnelle calandre Talbot de taille réduite, la voiture était proposée avec 3 variantes de carrosserie : un ravissant coach d’usine (two-door saloon), un cabriolet et un tourer. La presse adora ce modèle pour sa vivacité, son élégance et son confort.

En 1938, le groupe changea le nom de la marque en Sunbeam-Talbot, probablement après avoir remarqué que plusieurs marques de prestige avaient deux noms séparés par un trait d’union. Simultanément, la carrosserie de base de la Ten devint une berline à quatre portes sur le même empattement. Cette nouvelle caisse présentait une glace de custode sans montant qui semblait prolonger celle de la portière arrière et se terminait par une arête en contre-pente parallèle au montant du pare-brise. Ceci devint une caractéristique stylistique des berlines Sunbeam-Talbot jusqu’en 1956 et même au-delà. Les cabriolets et tourers restaient au catalogue.

On fabriqua la Ten jusqu’à la guerre à Londres. Pratiquement inchangée, sa production reprit de 1946 à 1948 dans la toute nouvelle usine de Ryton, près de Coventry.

Avec en tout près de 12 000 voitures produites, dont environ 2 700 cabriolets et tourers, ce modèle a toujours de nombreux amateurs au Royaume Uni.

Les 3-litre et 4-litre

En 1937 on « rootesifia » carrément les grosses Talbot : fini les boites présélectives et les six-cylindres culbutés. On les remplace par des boites classiques et par un six-cylindre Humber à soupapes latérales de 3 litre de cylindrée. Le même réalésé à 4 litre complétera la gamme l’année suivante. George Roesch désapprouvait ces choix et quitta Rootes.

La presse reconnaissait l’excellent rapport qualité-prix de ces voitures, l’élégance des nombreuses variantes de carrosserie proposées et leurs performances, mais était réservée sur leur tenue de route et déplorait l’abandon des raffinements Talbot. La clientèle les bouda, et seules 1 266 3-litre et 299 4-litre avaient trouvé preneur à la déclaration de guerre. On ne les réintroduisit pas après-guerre.

La 2-litre

Publicité Sunbeam Talbot (1947)

Pour compléter la gamme à moindre frais le service technique eut l’idée de monter un nouveau 4-cylindre latéral de 1 944 cc sur le châssis de la Ten. Après essais des deux prototypes on renforça et rallongea légèrement ce châssis, ajouta une barre anti-roulis sur l’essieu avant (toujours rigide) et le munit de freins hydrauliques. Equipée des mêmes carrosseries que la Ten, la nouvelle Sunbeam-Talbot 2-litre fut présentée en mars 1939. Londres n’en fit que 181 avant la guerre.

En 1946 Rootes re-proposa la 2-litre sur un châssis encore re-dessiné et renforcé, elle avait pris 31 mm et 108 kg. La puissance poussée de 52 à 58 chevaux était sensée compenser cette prise d’embonpoint. Nouvel échec : la production se limitera à 1 123 exemplaires en 2 ans.

Nouvelle génération : Sunbeam-Talbot 80 et 90

Pour l’année modèle 1948-49, la gamme est entièrement renouvelée, les Ten et 2-litre sont abandonnées et remplacées par deux nouveaux modèles avec châssis et carrosseries communs : les Sunbeam-Talbot 80 et 90 qui donc ne différaient que par leurs moteurs.

Publicité Sunbeam-Talbot 80 et 90 (1949)

La forme de cette nouvelle voiture dite Streamstyle est née de la collaboration entre le bureau de Raymond Loewy et les designers-maison en particulier Ted White. Elle marie la tradition (calandre traditionnelle ex-Talbot, glace de custode sans montant avec arête inversée) avec un modernisme évoquant l’aéronautique (ailes avant enveloppantes avec phares et antibrouillards intégrés venant mourir dans les portières avant, passages de roue arrière recouverts de caches (spats) en forme de goutte d’eau). Deux variantes sont proposées : berline et cabriolet deux portes, quatre places (Drop Head Coupé).

La technique aussi mélangeait la tradition et la nouveauté. Les moteurs sont culbutés, une première dans le groupe. Evolution de ceux de la Ten et de la 2-litre à partir des mêmes bâtis, ils tirent maintenant respectivement 47 et 64 ch. Autre signe de modernité en 1948 : la commande de boite au volant. Par-contre, le nouveau châssis échelle reprend les pratiques d’avant-guerre : légèrement raccourci par rapport à celui de la 2-litre il conserve un essieu avant rigide avec barre anti-roulis sur ressorts à lames.

En deux ans respectivement 3 500 et 4 000 80 et 90 quitteront les chaines de Ryton. La 90 aura alors créé sa propre niche : une berline moyenne compacte, sportive et d’allure moderne. Pourtant, l’absence de train avant à roues indépendantes la handicape face à ses concurrentes de prix comparables comme les Riley 1½-litre ou la Rover P3 60.

90 MkII, MkIIA et MkIII, l’apogée de la marque.

Pour l’année-modèle 1950-51, on abandonne la 80 et on modifie en profondeur la 90.

Le nouveau modèle dénommé 90 MkII conserve l’allure générale de la 90 des millésimes précédents. On a juste légèrement rehaussé les phares pour se conformer aux normes américaines et remplacé les antibrouillards intégrés par deux petites grilles chromées

Sous cette caisse à peine reliftée, le châssis est, lui, profondément revu. Il est beaucoup plus rigide grâce à une entretoise en X et présente, enfin, des roues avant indépendantes (triangles inégaux ressort hélicoïdaux). Pour profiter pleinement de ces améliorations, la cylindrée est portée à 2 267 cc par réalésage, la puissance est maintenant de 70 ch à 4 000 tr/min.

Sunbeam MkIII cabriolet (convertible coupé) (1955)

La 90 a maintenant pratiquement trouvé sa maturité. La 90 MkII évoluera en 90 MkIIA en 1952. Les modifications sont dictées par l’expérience des rallyes : freinage amélioré, suppression des spats, puissance portée à 77 ch. En 1954, après l’introduction de l’Alpine (voir plus loin), le modèle est rebadgé Sunbeam Mk III. Le moteur produit maintenant 80 ch, et les petites grilles-moustaches sont redessinées en intégrant les lanternes avant. Sous l’influence américaine de Loewy, apparition du bicolorisme en option sur les berlines.

Sur 6 ans, entre 1950 et 1956, Ryton aura produit un peu plus de 20 000 berlines et cabriolets.

LesMkIII restent encore au catalogue en 1957 pour liquider les voitures sur stock. Un « nouveau » modèle, la MkIIIS, est même proposé, c’est en fait une préparation du concessionnaire Castles de Leicester avec levier au plancher, moteur poussé à 92 ch., Tripmaster, prise d’air sur le capot etc. Il en fera une trentaine, aujourd’hui activement recherchées.

Sunbeam Alpine et Alpine MkIII, un flop élégant.

George Hartwell, concessionnaire à Bournemouth et ancien pilote-usine avait engagé à la Coupe des Alpes 1952 et au RAC un roadster 2 places élaboré en modifiant un cabriolet 90 MkIIA. Les Rootes y voient l’esquisse d’une voiture capable combler le trou entre la MG TC et la XK 120 sur le marché américain, friand de voitures de sport britanniques. Le bureau de Loewy en finalise la forme et le nouveau modèle est introduit en fanfare en mars 1953 au salon de New-York. Nommé Sunbeam Alpine (abandon de Talbot pour éviter une improbable confusion avec les Talbot Lago, et référence aux récents succès à la Coupe des Alpes), il s’agit d’un châssis de 90 MkIIA légèrement remanié avec un moteur poussé à 80 ch habillé de cette nouvelle carrosserie. Une version Alpine Special, sensée s’approcher des voitures d’usine, avec un moteur préparé à 97,5 ch par ERA et overdrive est également proposée. Les vitesses de pointe étaient données pour respectivement 152 km/h et 167 km/h.

Le 17 mars, sur le tronçon d’autoroute de Jabbeke, Sheila van Damm au volant d’une Alpine très affutée (plancher et place passager carénés, saute-vent et moteur poussé à 125 ch) porte à 193.34 km/h lerecord belge du kilomètre lancé de la catégorie 2 à 3 litres. Malheureusement il sera battu en mai par une TR2 tout aussi spéciale.

En octobre 1954, à l’introduction de la berline MkIII, le modèle sera rebaptisé Alpine MkIII et recevra de série un overdrive et un compte-tours intégré au tableau de bord.

L’auteur de ces lignes au volant de son Alpine, accompagnée d’une berline mkIII.

 

Cette tentative de roadster-sport fera long feu. Lancée presque simultanément à la TR2 et à l’Austin-Healey 100, l’Alpine, malgré ses bons résultats en rallyes, trop lourde et trop chère, ne séduira par les sportifs américains. La production se limita à moins de 1 600 exemplaires en deux années-modèle dont environ 950 exportés en Amérique du Nord.

L’épopée en Rallyes

Sunbeam Alpine, Moss/Cutts, Coupe des Alpes 1953

Le directeur commercial de Sunbeam-Talbot, Norman Garrad, lui-même pilote de rallyes, avait créé le service compétition dès 1947. Cet organisateur-né fit de cette petite équipe la première écurie usine britannique véritablement professionnelle. Son budget très limité le conduisit à la recherche systématique de sponsors et il sut convaincre les plus brillants pilotes britanniques d’y courir : Stirling Moss, Myke Hawthorn ou Peter Collins, mais aussi Sheila van Damm, grande championne qui ne courut que pour Sunbeam-Talbot et se retira en 1956. Garrad avait également l’oreille de Bernard Winter responsable des services techniques, convaincu du rôle fiabilisateur des rallyes. L’équipe se concentra d’abord sur les épreuves ayant le plus grand retentissement publicitaire : le Rallye International des Alpes dès 1947 (nommé Coupe des Alpes à partir de 1952) et le Rallye de Monte-Carlo à partir de 1948, avant d’écumer toute l’Europe (RAC, Tulip, Viking etc) et les deux premiers Rallyes Américains de la Montagne.

En 1948 Murray remporte la classe 2 litre au Rallye des Alpes avec une très convoitée Coupe des Alpes pour avoir terminé sans pénalité, mais c’est surtout à partir de 1952 avec la MkII que les succès s’enchainent. Au Monte-Carlo, Stirling Moss termine une fois 2ème (1952) et une fois 6ème(1953), et le privé norvégien Per Malling remporte la victoire en 1954. Cette année-là Sunbeam obtient également la Coupe des Dames (van Damm, 11ème) et le trophée L’Equipe des constructeurs. A la Coupe des Alpes, entre 1947 et 1954 l’équipe n’obtiendra pas moins de neuf « Coupes des Alpes » dont une des trois seules Coupes d’Or de toute l’histoire de l’épreuve, attribuées pour l’avoir obtenue trois fois consécutives (Moss 1950, 51 et 52), une victoire par équipe (1952) et deux Coupes des Dames (van Damm, 1953 et 54). Impressionné, le Royal Automobile Club attribuera en 1952 à Sunbeam-Talbot le trophée Dewar, la marque succédant à Jaguar (1951) et précédant Dunlop (1957). Signalons également les deux titres de Championne d’Europe des Rallyes attribués à l’infatigable Sheila van Damm en 1954 et 1955 et les deux victoires par équipe dans la classe 3 litre aux deux premiers Rallyes américains de la Montagne (1953 et 54).

En 1956, la MkIII tire brillamment sa révérence : au Monte-Carlo Harper termine 3ème ex-aequo et l’usine remporte le Trophée Charles Faroux de la victoire par équipe, comme c’est la troisième fois (1953, 54 et 56), la coupe reste définitivement acquise à Sunbeam. L’usine engage encore trois MkIII au RAC qui remporteront la victoire par équipe. Toutefois l’accent est désormais mis sur la Sunbeam Rapier présentée en octobre 1955 et dont quatre exemplaires d’usine participeront à la Coupe des Alpes.

La Rapier bien que très différente (1300 cc, caisse monocoque) sera pour le public l’héritière de l’esprit des 90 : voiture moyenne sportive au design moderne influencé par Loewy avec l’inévitable arête de custode inversée.

Gérald Grosshans, septembre 2019

Littérature :

  • Langworth, Richard : Tiger, Alpine, Rapier, Sporting Cars from the Rootes Group, Osprey, Londres 1982.
  • Clausager, Anders Ditlev : Sunbeam-Talbot & Alpine In Detail, Herridge & Sons, Beaworthy, Devon 2009.
  • Van Damm, Sheila : No Excuses, Putnam, Londres 1957

Club :

  • STAR Sunbeam-Talbot Alpine Register qui a pris en 1969 la suite du Sunbeam-Talbot Owners Club après l’arrêt du soutien du constructeur (Chrysler), excellent bulletin « Stardust ».

Cinéma :

  • Mission dangereuse (Highly dangerous), Roy Ward Baker 1950, S-T 80 DHC
  • L’assassin court toujours (Mr Denning drives North), Antony Kimmins 1951, S-T 80 ou 90 DHC
  • La Main au Collet (To catch a Thief), Alfred Hitchcock, 1955, Sunbeam Alpine
  • Rendez-vous avec la Peur (Curse of the Demon), Jacques Tourneur, 1957, Sunbeam Alpine
Grace Kelly et Carry Grant au dessus de Monaco en Sunbeam Alpine, dans le film « La Main au Collet » d’Hitchcock

4 commentaires

  1. J’ai piloté cette belle auto pour le défilé du siècle à Paris il y a si longtemps. J’en garde un magnifique souvenir à commencer par une panne au moment de démarrer dans le parking. J’ai bien cru que le défilé ne nous verrait pas mais Gérald avait la solution ! Qu’il y a -t-il d’équivalent chez Rover à cette époque ?

    • Cher Philippe,
      « chez » Rover, rien d’équivalent, mais très fugitivement « à côté » de Rover, il y avait les Marauder.
      Une douzaine de roadster produits (ils existent tous encore, sauf un peut-être), et un coupé.
      Cela mériterait d’ailleurs une rubrique … à venir …

  2. Très intéressant article de notre ami Gérald !
    Qui fait quand même se demander comment on peut préférer cette marque à Rover, ou même à Jaguar… 🙂

    • Pourquoi « préférer » ?
      On peut aimer aussi.
      Ceci étant, si les performances ne sont pas les mêmes, je te laisse essayer une XK120, et te fais essayer la Sunbeam-Talbot Alpine quand tu veux.
      Tu nous diras ensuite dans laquelle tu préfères être assis …
      ?

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