Dernière mise à jour : 14 mars 2021
Adrien Cahuzac retrace l’histoire de la marque Morris.
C’est au début du XXème siècle en Angleterre que l’aventure commence véritablement pour Morris. William Richard Morris, un jeune vendeur de cycles et d’automobiles, basé à Oxford, conçoit sa première voiturette en 1913. Il s’agit d’une deux places, baptisée Oxford, fabriquée avec des pièces d’autres marques et un moteur en T quatre cylindres, 1 018 cm3, de White and Poppe. Rapidement surnommé « Bullnose » en raison de son radiateur arrondi qui rappelle le museau d’un taureau, le modèle se révèle un grand succès. Deux ans plus tard, malgré le déclenchement de la première guerre mondiale, un véhicule plus grand, la Cowley, est proposé. Disposant de deux ou quatre sièges, elle est assemblée à partir d’organes américains, pour réduire les coûts, dont un moteur 1 495 cm3 de la firme Continental.
À la fin de la guerre, Morris se tourne vers la branche anglaise du français Hotchkiss pour lui fournir des moteurs, celui de Continental n’étant plus disponible. Hotchkiss équipe ainsi les Oxford et Cowley avec un moteur de 1 548 cm3 à partir de 1919. Fort de ce partenariat, Morris finit par racheter la société en 1923 pour en faire sa filiale de moteurs, baptisée Morris Engines. La même année, un moteur plus puissant de 1 802 cm3 est lancé sur l’Oxford, avec un nouveau châssis allongé. Ce modèle va servir de base à la première Morris sportive. C’est Cecil Kimber, alors concessionnaire Morris, à qui l’on doit la paternité de ce projet, qui donnera naissance à une marque à part entière baptisée MG (Morris Garages). Il transforme la Morris Oxford de 1 802 cm3, pour en faire une MG 14/28 Super Sports.
Durant toutes les années 1920, Morris se spécialise dans les voitures fiables et accessibles en termes de tarifs, contrairement à bon nombre de concurrents. Elle s’impose progressivement comme la première firme automobile anglaise. En septembre 1926, une petite révolution a lieu chez Morris, au salon de l’automobile de Londres. La marque abandonne sur tous ses modèles le fameux radiateur arrondi « Bullnose ». Caractéristique des Morris depuis 1913, il est remplacé par un modèle plat, « Flatnose », avec moins de nickel et apportant une meilleure capacité de refroidissement. Les moteurs des modèles restent identiques mais les châssis, suspensions et carrosseries sont sensiblement modernisés. Quelques mois plus tard, en février 1927, Morris s’empare de son concurrent Wolseley. Ce rachat lui permet de mettre la main sur un moteur six cylindres de 2 500 cm3 et sur un savoir-faire dans les modèles haut de gamme. Cela lui permet d’élargir sa gamme et de lancer, la Morris Six en 1928, suivie par l’Isis un an plus tard.
Mais la bataille commerciale entre les constructeurs se fait également sur l’entrée de gamme. Pour riposter face à la très populaire Austin Seven, Morris lance la Minor en 1928. Ce véhicule économique de deux ou quatre places est doté d’un moteur de 850 cm3 provenant de chez Wolseley. La Minor va connaître un vif succès, donnant naissance à la toute première MG Midget. Le modèle sera produit à plus de 86 000 exemplaires jusqu’en 1934, date à laquelle il est remplacé par la Morris Eight. Equipé d’un moteur légèrement plus puissant de 918 cm3, le modèle va lui aussi connaître un beau succès permettant à Morris de consolider ses positions en Grande-Bretagne. Entre la Minor et la Isis, la marque propose également une berline intermédiaire, la Ten, dotée d’un quatre cylindres de 1300 cm3 ou d’un six cylindres de 1400 cm3.
A la veille de la seconde guerre mondiale, William R. Morris, anobli et devenu Lord Nuffield en 1934, est à la tête d’un immense groupe d’automobiles en pleine croissance, composé de plusieurs marques. Morris est leader sur son marché, avec trois modèles phares (Eight, Ten et Isis/Twenty Five), disponibles en plusieurs carrosseries, tandis que MG, Wolseley et Riley, acquis en 1938, occupent différentes niches, sur le sport et le haut de gamme. Mais le conflit mondial interrompt cette ascension. Morris interrompt la fabrication d’automobiles pour produire des moteurs d’avions, des pièces de chars d’assaut et des jerrycans.
Au lendemain de la guerre, le groupe, rebaptisé Nuffield Organization, relance la production des deux seules Morris Eight et Ten. En 1948, la Eight est remplacée par une toute nouvelle Minor, conçue par Alex Issigonis, le futur père de la Mini, mais toujours équipée du même 918 cm3. Déclinée tour à tour en deux ou quatre portes, break, van et cabriolet, cette voiture deviendra la Morris la plus emblématique de la marque et connaîtra le plus grand succès. Elle sera même la première voiture britannique à dépasser le seuil d’un million d’exemplaires produits, avec près de 1,4 million exactement, jusqu’en 1971 ! La même année que le lancement de la Minor, Morris propose une Oxford MO, en remplacement de la Ten. Reprenant le style de la Minor mais en plus large, elle est équipée d’un moteur quatre cylindres de 1 476 cm3. Une version à six cylindres fait également son retour en 1948. Naturellement, appelée Morris Six MS, elle reprend la structure centrale de l’Oxford MO, avec un capot beaucoup plus long pour loger le moteur de 2 215 cm3. Mais le succès ne sera pas vraiment au rendez-vous pour ce modèle, qui ne tardera pas à disparaître.
Déjà associés depuis 1949 dans certains travaux de recherches, la Nuffield Organization et son grand rival britannique, Austin Motors Corporation, annoncent en novembre 1951 leurs fiançailles. Plutôt que de continuer à se livrer une guerre commerciale sans merci, les deux groupes ont compris qu’il valait mieux s’unir et rassembler leurs forces, pour mieux affronter la concurrence étrangère. C’est ainsi que Nuffield et Austin donnent naissance à la British Motor Corporation (BMC) en mars 1952. Officiellement, il s’agit d’une union entre égaux, sans que l’un des deux groupes ne prenne l’ascendant sur l’autre. Leonard Lord, devenu PDG d’Austin quelque temps après son départ de Morris Motors en 1936, devient vice-président et directeur général du nouvel ensemble tandis que Lord Nuffield prend la présidence du groupe. Mais ce partage du pouvoir fait long feu. Lord Nuffield, 75 ans, finit par démissionner de son poste le 17 décembre, laissant Leonard Lord seul aux commandes du groupe, imposant les hommes forts d’Austin aux postes clefs de la BMC.
Dès lors, les Morris vont adopter des moteurs Austin progressivement. En 1953, la Minor hérite du moteur de l’Austin A30, suivi par les Oxford série II, Cowley et la nouvelle Isis en 1955. L’intégration va aller plus loin encore entre les deux groupes. A la fin des années 1950, les nouvelles Morris lancées sur le marché ne sont plus que des Austin rebadgées, selon la méthode du « badge engineering », chère à la BMC. Et ce, durant plus de dix ans. Ainsi, la célèbre Mini, conçue par Alex Issigonis, sera à la fois une Morris et une Austin dès sa naissance en 1959, à la calandre près, tout comme les nouvelles berlines imposantes dites Farina (projet ADO 09), lancées la même année. Elles sont proposées à la fois sous les marques Morris (ce sera l’Oxford série V), Austin, MG, Riley et Wolseley, avec des modifications, pour l’essentiel, de détails.
Alors que la Minor continue sa brillante carrière, une autre petite berline est lancée par la BMC en 1962. Il s’agit de l’ADO 16. Proposée d’abord sous la marque Morris en 1962 (Morris 1100), elle est ensuite déclinée sous une dizaine de noms à travers le monde. Bien conçue, très polyvalente et disponible en plusieurs carrosseries (deux ou quatre portes, break), l’ADO 16 sera la voiture la plus vendue du marché britannique durant les années 1960, produites à plus de deux millions d’exemplaires ! En 1966, la BMC propose la berline ADO17 sous la marque Morris, après l’avoir lancée deux ans plus tôt sous marque Austin. Malgré l’obtention du prestigieux trophée de Voiture européenne de l’année deux ans plus tôt, la voiture sera un échec commercial.
Il faut attendre 1971, pour que Morris retrouve un modèle à part entière, qu’elle ne partage pas avec d’autres marques. Ce sera la Marina. Le groupe British Leyland, formée en 1968, suite à la fusion de la BMC-Jaguar et de Leyland Motors, s’est aperçu que la politique du « badge engineering », avait ses limites commerciales… Née dans un contexte social et économique très difficile pour son constructeur, la Marina va souffrir dès son lancement de problèmes de fiabilité et de finitions aléatoires. Eprouvant des difficultés à se vendre à l‘exportation, cette berline à propulsion connaitra pourtant une belle carrière dans son pays d’origine la Grande-Bretagne. Concurrençant le best-seller du marché, la Ford Cortina, elle reste longtemps dans le top 5 des voitures les plus vendues. Sa carrière s’arrête en 1980, après 1,1 million d’exemplaires honorablement produits.
Elle est remplacée par l’Ital, une version restylée de la Marina. Malgré ce replâtrage, le modèle est à bout de souffle face à la concurrence et ne connait pas le succès attendu.
En pleine restructuration, Austin Rover (la division automobiles de grande série de British Leyland) n’a plus les moyens de faire vivre la marque et décide de l’abandonner en 1984. L’Ital sera le dernier modèle de la populaire marque Morris, en même temps qu’une éphémère Metro commerciale en version tôlée.
Adrien Cahuzac