Dernière mise à jour : 6 février 2022
Cet article est initialement paru dans le bulletin #3 du club, daté d’avril 1990. Il s’agit d’une traduction d’un extrait du livre « The Post-war Rover: P4 and P5 » écrit par James Taylor , publié aux éditions Yesteryear Books, et reproduit avec la permission de son auteur.
Bien que la Marauder ne soit pas une Rover au sens le plus strict du terme, sa conception et son existence doivent tant aux concepteurs et à la production de l’usine Rover de l’époque qu’on la considère aujourd’hui comme une cousine bâtarde de la P4. L’idée d’étudier et de construire leur propre voiture de sport/compétition est venue à l’esprit de trois jeunes ingénieurs de chez Rover – Peter Wilks, George Mackie et Spen King – vers la fin des années quarante. Wilks et Mackie s’étaient déjà intéressés à ce genre de voitures avec la Rover Special, une monoplace qu’ils avaient fait construire sur un chassis d’étude de P3 et dont le succès les encouragea à envisager sérieusement de s’établir dans la construction automobile. Ils croyaient notamment que le nouveau moteur Rover IOE serait particulièrement adapté à une voiture de sport/compétition, car sa configuration permettait de l’améliorer ; on pourrait utiliser des taux de compression plus élevés en toute sécurité, malgré la non-disponibilité générale de carburant à indice d’octane élevé.
Si l’idée initiale, assez vague, était de construire et de commercialiser une deux-places décapotable avec des ailes séparées dans le style moto, mais l’introduction de la P4 75 fut le catalyseur qui provoqua l’apparition de la voiture dans sa version finale. George Mackie, devenu le représentant de l’usine Rover à Bruxelles, avait été inspiré par la carrosserie enveloppante de la nouvelle Ferrari 166 : il envoya à Peter Wilks une carte postale avec une publicité pour la Rover 75, après l’avoir coupée au niveau de la ceinture de caisse et lui avoir dessiné une capote. Wilks, toujours “l’enfant terrible » de chez Rover, sauta sur le projet et réussit à convaincre King et Mackie que le monde automobile attendait depuis très longtemps une voiture de sport ressemblant au croquis de Mackie, et qu’ils devaient la fabriquer eux-mêmes.
Tout le projet dépendait, bien sûr, de la disponibilité des pièces Rover, qui était loin d’être garantie à une époque où l’usine de Solihull, comme les autres constructeurs britanniques, était obligée de fabriquer des voitures principalement destinées à l’exportation pour survivre. Il y a peu de doute que les relations familiales de Peter Wilks aient contribué à lui assurer l’appui nécessaire de la Rover Company, et son oncle, Spencer Wilks, alors PDG de Rover, obtint l’accord de la direction générale à l’occasion d’une réunion au mois de décembre 1949, pour fournir vingt et un ensembles de pièces destinés au nouveau projet. Les relations familiales de Wilks peuvent aussi l’avoir aidé à obtenir l’accord d’un petit nombre de distributeurs Rover qui acceptèrent une concession de la nouvelle voiture de sport, laquelle, à cette étape, n’était guère plus qu’une lueur dans les yeux de ses concepteurs. Avec cette perspective radieuse d’un service après-vente de première classe pour leur nouvelle voiture, Wilks et Mackie quittèrent Rover pour créer une petite société afin de la construire. Spen King, prudent comme toujours, décida de rester à l’usine de Solihull (où il travaillait sur la phase finale de JET 1 – la P4 mue par une turbine !), mais de consacrer son argent et son temps libre au projet.
Pendant les premières étapes de l’élaboration du projet, Wilks et Mackie firent la connaissance d’un carrossier local, Richard Mead, qui semblait être la personne idéale pour les aider à créer le style de carrosserie qu’ils souhaitaient. Il était donc naturel pour eux de louer une partie des locaux de Mead à Poplar Road, Dorridge, Birmingham, pour y établir bureaux, magasins et ateliers. Wilks, Mackie & Cie commencèrent à fonctionner officiellement le ler janvier 1950, avec un capital de 3500 livres. Wilks apporta 1500 livres, qu’il avait reçues à la suite d’un accident de moto, Mackie contribua pour 1000 livres, Spen King rajouta 500 livres et les dernières 500 livres furent fournies par le père de Peter Wilks, G.N.Wilks. Bien que la nouvelle voiture ne fut encore rien d’autre qu’un ensemble de bonnes idées et la promesse de quelques pièces de P4 75, elle avait déjà un nom. On avait d’abord suggéré « Viking », pour souligner le lien avec Rover (ce nom avait été également prévu pour la P4), mais, sur les conseils des services des brevets, on choisit finalement le nom de « Marauder ».
On entreprit aussitôt la conception d’un prototype, mais la construction même devait attendre l’arrivée du premier châssis de chez Rover, le 9 mars. King et Wilks assumèrent l’essentiel du travail, avec l’assistance de Richard Mead pour la carrosserie. Si le croquis de la 75 retouchée par Mackie avait laissé supposer que la construction de la nouvelle voiture serait sans complications, le prototype fut soumis à de nombreuses modifications. Étant une deux-places, la voiture devait être plus courte que la P4 : un nouveau châssis fut étudié, à partir d’un châssis de P4 sectionné en avant de la partie courbe qui surmonte le pont arrière, ce qui donnait un empattement de 8 pieds 6 inches (2,59 m environ), plus court que celui de la P4 de 9 inches (23 cm). Les traverses du châssis furent repositionnées pour installer le moteur, déplacé de 19 inches (48 cm) vers l’arrière et monté 2 inches (5 cm) plus bas sur les supports, à l’horizontale et non en biais comme sur la P4. Le boîtier de direction fut reculé et la longueur du bras Pitman augmentée en conséquence, ce qui eut pour résultat de réduire la démultiplication de la direction, qui prenait un aspect plus sportif : il fallait deux tours de volant au lieu de quatre pour obtenir un braquage complet des roues. Quelques modifications de suspension furent également effectuées, en partie pour améliorer le comportement de la voiture et en partie à cause du positionnement des traverses de châssis.
Le moteur était celui de la 75, légèrement gonflé, avec un joint de culasse moins épais pour augmenter le taux de compression de 7,25/1 à 7,6/1. Les ressorts de soupapes étaient modifiés pour éliminer l’affolement des soupapes, modification qui avait été faite avec succès sur la Rover Special. La boite était celle de la 75, mais le levier de vitesses sur la colonne de direction était remplacé par un petit levier au plancher, à 6 inches (15 cm) de l’axe de la voiture vers le conducteur. (Le concessionnaire Rover Gethin’s a proposé plus tard une transformation pour les P4 à levier de vitesses sur la colonne de direction, avec un système qui ressemblait beaucoup à celui de la Marauder, et dont il se peut que Peter Wilks l’ait emmené avec lui quand il est allé travailler chez Gethin’s après l’échec du projet Marauder.) La roue libre Rover était conservée, mais il était prévu de monter, en option, un surmultiplicateur (overdrive) épicycloïdal, fabriqué par Hand A Engineering, de Croydon, ce dispositif se logeant facilement dans le carter de la roue libre.
La carrosserie était construite sur le plancher d’une 75 raccourcie, en suivant les lignes générales de la P4. En particulier, la vue de l’arrière soulignait son appartenance à la conception P4, bien qu’il n’eût qu’une petite trappe malcommode pour accéder au compartiment arrière, typique de la mode des voitures de sport à l’époque, au lieu du vrai coffre de la 75. Les flancs de la voiture, à la partie inférieure galbée, étaient finis avec des baguettes chromées, comme sur la P4, et les passages de roues rappelaient la berline apparentée, mais, bien entendu, la voiture n’avait que deux portes, et le capot et les ailes avant avaient été redessinés pour lui donner un profil abaissé et aplati, ce qui était encore souligné par la calandre allongée horizontalement. Le haut du capot était en deux parties, avec une articulation centrale, dans le style sportif de l’époque. Les portières, le tablier avant, le capot, l’auvent et la trappe du compartiment à bagages étaient en aluminium, alors que le reste de la carrosserie était en acier. L’écusson de capot très caractéristique, avec sa torche enflammée, avait été dessiné par la femme de George Mackie, Rosemary.
Le prototype de la Marauder (équipé d’un overdrive qui devait être ensuite supprimé) fut achevé en juillet 1950, alors que le travail était déjà bien avancé sur le second châssis. Bien que les essais sur route habituels aient été effectués dans la région, Wilks et Mackie décidèrent d’accomplir un essai routier de dix jours sur le Continent, en passant par la Belgique, le Luxembourg et la Suisse, au cours duquel le seul problème qui se fit jour concernait le graissage de la boîte de vitesses. Pendant ce voyage, ils rendirent visite à l’importateur Rover en Suisse, qui les invita à présenter une Marauder sur le stand Rover du Salon de l’Automobile de Genève en 1951, invitation qu’ils acceptèrent avec enthousiasme. Le prototype fut officiellement présenté à la presse le mois suivant (août 1950) et dès que les journaux eurent rendu compte de l’événement, les distributeurs Rover qui avaient accepté d’être des agents de la marque passèrent les premières commandes. Afin d’accélérer les rentrées d’argent, Wilks, Mackie & Co. attribuèrent des numéros de châssis à ces commandes ; les distributeurs recevaient ensuite une facture pour le châssis dès sa construction, le solde devant être versé une fois la carrosserie achevée et la voiture assemblée. Le prix d’achat de la Marauder était de 1235 livres, y compris 285 livres de « purchase tax ».
Cependant, le prototype attirait l’attention par les succès qu’il obtenait en rallyes. Il passa entre les mains de Willmott, distributeur Rover à Bognor Regis, et commença sa carrière en compétition en novembre 1950 dans le Rallye des Mille Miles du « Daily Express », conduit par Bernard Willmott et sa femme, qui terminèrent deuxième dans la catégorie ouverte aux voitures de moins de 1250 livres. Les Willmott engagèrent aussi une Marauder (la même ou la seconde Marauder MPB 2) dans la course de côte et le rallye de l’île de Wight, et obtinrent la troisième place de la catégorie des 3-litre, Peter Wilks remporta aussi une deuxième place (derrière Mike Hawthorn) au volant d’une Marauder dans un handicap de cinq tours sur le circuit de Goodwood en juin 1951.
Bien que son moteur de 75 légèrement amélioré assura à la Marauder des performances appréciables, la voiture était finalement moins sportive que ses créateurs ne l’avait imaginée au départ : l’étape suivante allait donc consister à augmenter sa puissance. Wilks et Mackie avaient certainement l’intention d’utiliser le moteur V6 que Solihull était en train de développer, et Mackie avait reconnu qu’il rêvait d’installer une turbine, mais ils devaient, dans l’immédiat, se contenter du IOE 75.
C’est ainsi qu’en mars 1951 fut présentée la Marauder 100, équipée d’un moteur 75 réalésé à la limite des 2.4 litres, ce qui permettait d’utiliser les pistons du 4-cylindres 10E 60 de 1948. La puissance de 100 ch extraite de cette mécanique pouvait encore être augmentée par l’adjonction, sur option, d’une culasse à trois carburateurs déjà montée sur quelques rares exemplaires de la P3 75 Sports Saloon de 1948. La septième voiture produite, qui avait été exposée au Salon de Genève de 1951, reçut ces modifications et fut régulièrement utilisée en rallyes en 1952-53 par son propriétaire de l’époque, Frank Shanks. Bien entendu, le moteur 75 restait disponible, et il semble d’ailleurs que deux exemplaires de la Marauder seulement aient reçu le moteur le plus puissant.
Entre-temps, la production des carrosseries avait été transférée de l’usine de Richard Mead à Abbey Panels, à Coventry. Dès l’origine, il avait été convenu que Mead n’habillerait qu’un nombre limité de Marauder : en fait, il ne produisit que quatre carrosseries complètes, mais il assura la peinture et la finition de toutes celles qui sortirent d’Abbey Panel. Ces dernières étaient identiques à l’original, mais plus lourdes d’une centaine de kilos. Les Marauder construites après octobre 1951 furent pourvues d’un siège du conducteur séparé et réglable à la place de la banquette, ce qui assurait un meilleur confort au pilote et permettait d’accéder plus aisément au coffre à bagages de l’intérieur de la voiture, le dossier du passager se rabattant sans venir buter sur le volant. Mead construisit également, sur commande spéciale, un coupé d’aspect intéressant, dont la carrosserie comportait davantage d’éléments de série de la Rover P4 75 que le cabriolet, et dont Georges Mackie voulut plus d’une fois désavouer la paternité, en raison de son style ! La Marauder n°II (en fait la douzième de la série) fut à l’origine équipée d’un volant à gauche, car on espérait avec optimisme que les voitures finiraient par être exportées. Après avoir langui sans succès pendant quelques mois dans la vitrine de la Franco Britannic, près de Paris, elle fut rapatriée en Grande-Bretagne et convertie à la conduite à droite. Le sort voulut qu’elle fut finalement vendue à un Américain, qui la préféra néanmoins sous cette forme.
Wilks, Mackie & Co. avaient prévu de transférer leur activité dans des locaux plus vastes après la mise en route de la production : en juillet 1951, ils faisaient l’acquisition d’un terrain sur Common Lane, à Kenilworth. La firme s’installa dans ses nouveaux locaux au début de l’année suivante, espérant toujours être en mesure d’accroître la production de la Marauder. Tout n’allait cependant pas pour le mieux. Les restrictions gouvernementales sur les prêts bancaires créaient des difficultés aux nouvelles sociétés soucieuses d’expansion, et la guerre de Corée affectait l’approvisionnement en matières premières au moment même où il commençait à s’améliorer. Cependant, le plus gros problème fut posé par l’apparition, dans le budget d’avril 1951, d’un nouveau taux de « purchase tax », soit 66,66% – le double du taux précédent -, pour les voitures dont le prix de base dépassait les 1000 livres. Les prix avaient évidemment augmenté et, en 1952, le prix de base de la Marauder était de 1250 livres, ce qui correspondait à un total écrasant de 2002 livres avec la nouvelle « purchase tax », Wilks et Mackie examinèrent longuement les perspectives qui se présentaient à eux, et ils décidèrent à regret d’en rester là au milieu de l’année 1952, après avoir construit un total de quinze voitures. La dernière Marauder fut livrée à Henly’s, à Londres, le 26 mars 1952. En septembre, la Marauder Car Company Ltd, comme la firme avait été rebaptisée après son installation à Kenilworth, était mise en liquidation. Georges Mackie retourna à Solihull et Peter Wilks, après un bref passage chez Gethin, distributeur Rover à Birmingham, en fit autant. Quant aux voitures, onze d’entre elles au moins ont survécu jusqu’en 1981 (l’historique des trois autres Marauder est inconnu). Depuis 1974, l’une des survivantes est la propriété de Georges Mackie.
James L. TAYLOR (traduction B. Pécheur)