Dernière mise à jour : 15 février 2021
Nommé en juillet dernier CEO de Jaguar Land Rover, après avoir du quitter la direction générale de Renault fin 2019, Thierry Bolloré a présenté ce jour le plan « Reimagine » du constructeur britannique.
Et il n’est pas inutile de rappeler le passé de Thierry Bolloré chez Renault, tant on peut trouver des similitudes entre le plan « Renaulution » présenté par le patron de Renault, Luca di Meo, il y a quelques semaines, et celui présenté aujourd’hui par le nouveau patron du constructeur issu de la fusion de Jaguar et de Land Rover, et détenu depuis 2008 par l’indien Tata.
Mais sur la forme, là où le patron de Renault avait tenu une conférence de presse et répondu aux questions des journalistes et participants pendant plus de 2 heures, la présentation par le patron de Jaguar Land Rover ne dura qu’une petite vingtaine de minutes, vite expédiées.
Déjà en difficultés avant que n’émerge la pandémie en cours, Jaguar Land Rover avait, sous le prédécesseur de Thierry Bolloré, Ralf Speth, annoncé un vaste plan d’économies et de réduction de postes qui est toujours en cours d’application. Mais le constructeur subit depuis plusieurs années une érosion de ses ventes, en Chine tout d’abord, puis sur les marchés européens, touché de plein fouet par la chasse au diesel et aux rejets de CO2. Si, en plus, on rajoute le contexte économique actuel né de la pandémie, on mesure l’urgence pour le constructeur de réagir s’il veut tout simplement survivre.
A cet égard, les véhicules 4×4 de Land Rover sont devenus difficilement vendables en Europe, en regard de la taxation écologique, et l’apport de versions avec hybridation électrique légère ou plus récemment de versions hybrides rechargeables ne peut à elle seule inverser la tendance. Côté Jaguar, encore plus en difficulté, les ventes décevantes de la petite berline XE n’ont pu être compensées par les nouveaux SUV, dont le 100% électrique I-Pace. Le haut de gamme statutaire de Jaguar, la XJ, avait cessé d’être produite fin 2019, et sa remplaçante 100% électrique devait arriver fin 2020, avant d’être repoussée à 2021.
Elle devait…et finalement, elle ne sortira pas. C’est peut-être le point le plus surprenant de la nouvelle stratégie du constructeur. Jaguar deviendra en effet, à l’horizon 2025, un constructeur avec une offre 100% électrique. Et si on pouvait croire que la nouvelle XJ s’inscrirait dans cette nouvelle logique industrielle, il n’en est rien, puisque Thierry Bolloré a estimé qu’elle ne répondait plus aux exigences de renouveau de la marque. Exit donc la XJ, dont la première version était né en 1968. Il est surprenant que cette voiture ait été annulée alors que son développement était déjà bien avancé, très proche de la production, avec des prototypes circulant sur les routes anglaises depuis plusieurs mois. Dans l’histoire de la production automobile britannique, l’exemple est suffisamment rare et rappelle (ironie de l’histoire) l’abandon du projet P8 par Rover en 1971…alors considéré comme menaçant pour la nouvelle XJ de Jaguar au sein du même groupe British Leyland !
Pour en revenir à Jaguar Land Rover et aux annonces de ce jour, les principaux points à retenir sont :
- une gamme Jaguar 100% électrique d’ici 2025, les nouveaux modèles commercialisés devant être exclusivement électriques dès à présent
- l’arrêt du projet XJ en cours
- une gamme Land Rover progressivement électrifiée, avec 6 nouveaux modèles électriques d’ici 2026 (avec l’arrêt à la même date des motorisations diesel), le premier étant disponible dès 2024, et un objectif de 60% des ventes Land Rover réalisées d’ici 2030 avec des véhicules 100% électriques, sur les 3 gammes actuelles Range Rover, Discovery et Defender
- un objectif « carbone neutre » d’ici 2039 sur l’ensemble des activités du groupe, de la recherche à la production en passant par le recyclage et la sous-traitance
- le développement de la pile à combustible, pour des véhicules roulant à l’hydrogène et dont les premiers prototypes seront sur les routes dans douze mois
- le maintien de l’activité industrielle sur l’ensemble des sites de production actuels, au Royaume-Uni et à l’étranger, avec toutefois une réinvention à définir pour le site de Castle Bromwich
- la concentration des activités non-industrielles sur le site de Gaydon, qui va devenir de facto le siège du groupe, alors que l’essentiel de ces activités y était déjà implanté
- une collaboration renforcée avec la maison-mère Tata Motors, tant dans les domaines industriels que dans la création de nouveaux services autour des données, le logiciel, etc…
Si on se place sur le simple angle des voitures, c’est donc l’arrêt du thermique à court terme pour Jaguar, et un arrêt progressif pour Land Rover sur les prochaines années. Adieu donc les V6 et V8 emblématiques de ces deux marques (et même les 4 cylindres). Il faut dire que tous les constructeurs sont plus ou moins obligés de suivre cette voie, au regard des nouvelles règlementations à venir (le Royaume-Uni ayant récemment abaissé son objectif d’interdiction de vente de véhicules thermiques sur son sol, prévu initialement pour 2040, à…2030, c’est-à-dire demain, à l’échelle industrielle). Les amateurs que nous sommes peuvent déplorer la disparition annoncée des moteurs thermiques…mais après tout, qui regrette aujourd’hui les locomotives à vapeur, tout en continuant à les apprécier sur les circuits touristiques ? (nous admettons bien volontiers le côté provocateur de cette formule).
Toujours détenteur de la marque Rover, force est de constater que Jaguar Land Rover ne l’inclut toujours pas dans son plan produits, en investissant par exemple le créneau du « volume » qui lui permettrait de se développer sur les segments où il est absent, et de faire renaitre notre marque fétiche pour différencier ces voitures. Non, Jaguar Land Rover réaffirme son ambition d’être un constructeur de véhicules de luxe, sur des volumes donc réduits mais avec une marge plus importante. Espérons pour lui, et pour tous ceux qui y travaillent, que ce plan soit couronné de succès. Sa survie à long terme en dépend…