La SD1 en compétition

Dernière mise à jour : 3 décembre 2018

Victorieuse du championnat de France de Supertourisme en 1982, avec René Metge, puis en 1985 avec Jean-Louis Schlesser, la SD1 était née pour la compétition. Retour sur un parcours riche et prestigieux…

Cet article est paru initialement dans le bulletin n°14 du BCCRC, en date du mois de mars 1993.

SD1 Twin Turbo préparée par Janspeed

Dès les premières années de la SD1, nombre d’observateurs avaient regretté l’absence d’une version à hautes performances de ce modèle. En 1979 déjà, Janspeed avait tenté de combler cette lacune en proposant des versions à V8 turbocompressé. Jan Odor avait, comme à l’accoutumée, fait du bon travail : sa conversion à deux petits turbos Roto Master, d’adaptation aisée, permettait, pour un millier de livres, de dépasser les 210 km/h et d’atteindre les 100 km/h départ arrêté en 7,5 s. En 1980, l’organisation David Price Racing engagea, avec le soutien de l’usine, une équipe de SD1 dans le championnat de voitures de tourisme britannique Tricentrol. Après des débuts hésitants, les Rover l’emportèrent dans la sixième épreuve, à Brands Hatch, en juillet, et dans le Motor Show Trophy, à Donington, en octobre. DPR cessa ensuite d’être soutenu par l’usine, mais il mit à profit son expérience pour proposer, en 1981, une version routière à hautes performances qui, avec des carburateurs Holley, développait 220bhp et atteignait les 225 km/h. En 1981, des SD1 préparées par Tom Walkinshaw Racing furent engagées officiellement par l’usine dans le championnat britannique. Elles remportèrent trois victoires au cours de la saison et terminèrent aux trois premières places dans l’épreuve finale, à Silverstone. En 1982, la même organisation s’imposa dans cinq épreuves, et le pilote d’usine Jeff Allam devint champion en Groupe A. «Autosport» écrivait à l’époque : «Il n’y a pas si longtemps, pour remporter le Tricentrol, il fallait avoir une Ford Capri. Et puis Tante Rover est arrivée.»

La SD1 Vitesse « civile »

Finalement, en octobre 1982, Austin Rover Group (ARG) se décida, fort de l’expérience accumulée, à lancer la production du modèle tant attendu: la Vitesse. Celle-ci était équipée de l’injection électronique Lucas déjà installée sur quelques modèles destinés à l’exportation pour cause de… contrôle de la pollution atmosphérique, mais cette fois dans une perspective de hautes performances. Avec son moteur de 190bhp, ses performances étaient légèrement supérieures à celles de la conversion Janspeed de 1979 à double turbo. Une garde au sol réduite et un vaste spoiler arrière assuraient une stabilité à grande vitesse exceptionnelle. Les sièges avant «sportifs» étaient spécifiques à la Vitesse, qui n’était proposée qu’avec une transmision manuelle. Boiseries, toit ouvrant et stéréo étaient prévus en série, l’air conditionné et la commande électrique du toit ouvrant restant en options. ARG réfuta vigoureusement la suggestion selon laquelle la Vitesse (qui aurait dû porter l’appellation Rapide si Lagonda avait accepté de céder ce nom) était une voiture «spéciale homologation» en vue de l’adoption, pour le championnat européen des voitures de tourisme 1983, de la réglementation du Groupe A. il y avait pourtant du vrai dans ce jugement. A l’origine, il avait été prévu de fabriquer seulement la Vitesse sur commande spéciale, mais elle acquit une telle popularité qu’ARG dut l’inclure dans sa gamme commerciale. Les horribles décalcomanies «gofaster» qui défiguraient le modèle présenté à la presse devinrent rapidement facultatives. John Lanley, dans le «Daily Telegraph», surnomma la Vitesse « l’Aston Martin du pauvre», compliment intéressant pour une marque qui avait déjà pour tradition d’être «la Rolls Royce du pauvre ! »

Le championnat des voitures de tourisme britanniques 1983 fut le premier à se dérouler selon la réglementation du Groupe A, ce qui eut pour effet de renforcer la compétitivité des Rover : la nouvelle Vitesse remporta tout simplement la totalité des onze épreuves au programme! Cette série de victoires fut gâchée par une succession de réclamations et de litiges devant les tribunaux du RAC. Finalement, ARG, refusant de perdre davantage de temps en querelles et ayant déjà tiré toute la publicité possible de sa domination sur les circuits, annonça qu’il renonçait au titre et se retirait de cette compétition pour se consacrer au championnat européen de voitures de tourisme (ETC). Notons cependant qu’une SD1 d’usine s’illustra encore, en 1985, dans une épreuve du championnat britannique, à Brands Hatch, où Tom Walkinshaw infligea sa seule défaite à la Ford Sierra d’Andy Rouse, qui dominait cette série.

Le retrait de Rover du championnat britannique n’empêcha pas des pilotes privés de se distinguer au volant de SD1 Vitesse. En 1984, Andy Rouse, au volant d’une Rover préparée par Andy Rouse Engineering avec le soutien de l’usine, s’appropria le titre après avoir terminé dix épreuves sur onze (une rencontre imprévue avec un mur à Silverstone l’empêcha de faire mieux) : il en remporta six et finit quatre fois second. «Autocar» essaya à Brands Hatch, en octobre, la voiture victorieuse, qui développait environ 300bhp autour de 7.000 tr/mn, soit un gain de puissance de 58 % par rapport à la série. Cette SD1 était aussi remarquable par sa présentation méticuleuse que par ses performances : Andy Rouse Engineering n’avait pas hésité à cadmier le pont arrière et les suspensions !

Des SD1 participèrent également aux championnats nationaux de voitures de tourisme en France, en Belgique (avec le joaillier anversois Eddy Joosen, en particulier), en Allemagne, en Australie et en Afrique du Sud, avec des degrés variables de soutien officiel et des succès divers.

La France mérite une mention spéciale. La première victoire de la 3500 sur circuit remonte à 1981 ; l’année suivante, le championnat national revenait à Rover. L’homme qui joua un rôle décisif fut ici René Metge, qui prépara lui-même, dans sa concession Austin Rover Autorama 92, à Malakoff, dès 1980, une 3500 afin de participer au championnat de voitures de production : il termina dix-huitième. En 1981, il l’emporta dès la première épreuve, à Dijon, en ouverture du Grand Prix de France. Il fut encore vainqueur à Rouen, et finit à la huitième place du championnat.

En 1982, au volant de sa 3500 soutenue par Marlboro et Castrol, et qui bénéficia d’une aide accrue d’Austin Rover, René Metge remporta trois épreuves : les deux courses d’Albi et celle de Dijon. La fiabilité de la SD1, qui finit dans les points treize épreuves sur quinze, lui assura le titre de champion de France.

En 1983, Metge courait sur la nouvelle Vitesse. La saison démarra assez laborieusement : la voiture était un peu plus lourde, et si TWR avait parfaitement développé les voitures du Groupe A, la réglementation appliquée en France, passablement différente, ne simplifiait pas les choses. Metge se qualifia en troisième position à Pau, qui n’était pourtant pas le circuit idéal pour la SD1, et obtint une excellente place de second à La Châtre derrière Beltoise. La semaine suivante, à Rouen, il remportait la pole position et l’épreuve à l’occasion de la centième course du production disputée en France: il avait participé à quatre-vingt-dix-huit de celles-ci et l’avait emporté neuf fois. Il s’imposa aussi à Croix-en-Ternois en juillet, et se retrouva ainsi sixième au classement du championnat à la misaison. Il obtint encore plusieurs places d’honneur (quatrième à Hockenheim en août, troisième à Nogaro et à Albi en septembre), ce qui lui valut de terminer l’année à la quatrième place du championnat national.

En 1984, c’est Jean-Louis Schlesser qui prenait la relève, secondé par Marc Duez. Contre les Alfa GTV6 et autres 505 Turbo, sa SD1 Vitesse l’emportait d’entrée à Nogaro en avril, puis dans une manche à Rouen en juin, et de nouveau à Nogaro en septembre. Il finissait deuxième à Rouen dans l’autre manche, et troisième à Magny-Cours et à La Châtre (mai), et à Croix-en-Ternois (juillet). Il se retrouvait finalement en cinquième position au classement du championnat de France de production. Les efforts de Schlesser devaient être couronnés en 1985. Au volant de sa Rover préparée par TWR, qui développait «au moins» 350 ch (la plus grande discrétion était de rigueur dans ce domaine), pour un poids de 1180 kg, il dominait la première course de la saison, à Nogaro, en avril. Il remportait aussi une très belle victoire, au mois d’août, dans des conditions épuisantes, sur le circuit de Croix-en-Ternois, le moins adapté pourtant au comportement de la Vitesse, devant les nouvelles Mercedes 190. Il collectionnait les places d’honneur dans les autres épreuves de la série : deuxième à Albi en avril et dans une manche à Dijon en juin, troisième à Magny-Cours en avril, à Rouen et dans l’autre manche à Dijon en juin, ainsi qu’à Nogaro, en septembre, où l’on assistait, le même jour, à un beau triplé des trois Rover TWR dans la course réservée aux «Groupe A», cette année-là, Schlesser prit la tête du championnat dès le mois de mai, et il devait la conserver jusqu’à la fin de la série, devenant champion de France des voitures de production devant Lapeyre, sur BMW M635. Ainsi s’achevait en beauté la participation de la SD1 à ce championnat, au cours duquel il avait été démontré qu’une seule Rover bien préparée pouvait tenir tête aux adversaires les plus valeureux, même s’ils disposaient souvent de ressources très supérieures.

Jean-Louis Schlesser au volant de sa Vitesse

 

Le championnat de tourisme européen

Une Rover fit sa première apparition dans cette série dès 1982, à Silverstone : la SD1 de Patrick Motorsport réalisait le troisième temps aux essais derrière les deux Jaguar, et elle aurait pu prendre la seconde place devant la deuxième XJ-S quand elle tomba en panne d’essence à six tours de la fin. En mai 1983, deux Rover préparées par TWR furent engagées aux 500 Kilomètres de Donington, troisième épreuve ETC. Allam-Soper et Lovett-Joosen les qualifièrent en cinquième et sixième positions, derrière les Jaguar et une seule des neuf BMW 635 CSI (n’oublions pas qu’il y eut jusqu’à treize voitures de ce type engagées en championnat ETC cette année-là, ce qui conférait quelque valeur aux performances réalisées contre une telle opposition…). En juillet, la Vitesse de Soper-Allam-Lovett finissait les 24 Heures de Spa en troisième position. En septembre, René Metge et Steve Soper faisaient mieux encore en remportant le Tourist Trophy, la plus vieille course automobile du Royaume-Uni, qui se déroulait alors à Silverstone et faisait partie du championnat ETC : pour Rover, la dernière victoire au TT remontait à 1907…

En 1984, 1985 et 1986, ARG engagea régulièrement des Vitesse d’usine dans les épreuves de championnat européen. La firme remporta au total douze victoires sur trois ans, y compris le TT en 1985 et 1986. En 1984, les Jaguar XJS de Tom Walkinshaw et les BMW 635 CSI monopolisèrent les victoires en ETC, et le meilleur résultat pour Rover fut une belle place de seconds pour Jeff Allam et Marc Duez, en juillet, au Nürburgring.

La saison 1985 vit des compétitions acharnées entre les Vitesse et celles qui devaient remporter le titre de justesse, les Volvo 240 Turbo, parfaitement préparées et beaucoup plus redoutables que leur aspect vieillot ne le laissait supposer. «Autosport» résumait ainsi la saison des Rover : «Il fut décidé de ne pas tenter de se placer, mais d’attaquer directement les Volvo. Il apparut bientôt que, conduites à 110% de leurs possibilités, les voitures risquaient davantage les accidents et les bris de moteur. Jamais je n’ai vu des voitures de tourisme conduites avec autant de détermination que ces Rover. Résultat : Tom Walkinshaw et Win Percy n’ont terminé que huit courses, et ils en ont gagné sept!» Outre ces sept victoires en quatorze épreuves (Monza, Vallelunga, Donington, Salzburgring, Silverstone, Nogaro et Jarama), il faut compter aussi quatre places de seconds et sept de troisièmes, y compris trois triplés et un doublé au TT (un incident électrique mineur priva les SD1 d’un doublé aux 24 Heures de Spa – et sans doute du titre européen). Les autres pilotes TWR pour 1985 étaient Jean-Louis Schlesser, Pierre-Alain Thibault, Marc Duez, Eddy Joosen, Steve Soper, Jeff Allam, Martin Brundle, Armin Hahne et Hans Hayer.

En 1986, la concurrence était encore plus vive, avec la présence des nouvelles Ford Sierra Turbo. Walkinshaw et Percy remportèrent les deux premières épreuves, à Monza et Donington. La seule autre victoire de la saison pour une Rover devait revenir au grand Denis Hulme, vainqueur du Tourist Trophy, à Silverstone, en septembre, en compagnie de Jeff Allam. Au mois d’août, aux 24 Heures de Spa, la Vitesse de Walkinshaw-Percy-Joosen avait cependant obtenu sa cinquième pole position consécutive, et Hahne-Allam-Hulme avaient mené une course superbe : ils étaient encore en tête au bout de l7 heures, mais ils connurent de graves ennuis de transmission et ne purent terminer que sixièmes, avec un pont arrière sommairement ficelé. Cependant, les Vitesse, dont les autres pilotes étaient Allam, Joosen, Hahne et Brancatelli, obtinrent au cours de la saison cinq places de seconds et autant de troisièmes, et Win Percy fut déclaré champion d’Europe. (Il devait perdre ce titre sur le tapis vert, après une autre de ces réclamations qui étaient monnaie courante dans ce type d’épreuves et qui empoisonnèrent toute la carrière de la SD1 en compétition.) Cette année-là, lorsque la série 800 fut présentée, ARG se retira du championnat après avoir estimé que «le programme de compétition de la Vitesse avait atteint sa conclusion naturelle».

Pourtant, au début de 1986, le constructeur affirmait encore sa détermination à poursuivre la production de la Vitesse (ainsi que des 2300/2600) et sa participation aux compétitions après le lancement de la 800 (appelée à l’époque la XX). Une série de cinq cents Vitesse «evolution special» (aujourd’hui fort rares) avait d’ailleurs été prévue à des fins d’homologation : elles étaient équipées d’un système d’injection à doubles chambres développé par Lotus, destiné à accroître le couple du V8, de plus en plus sollicité en puissance. Le projet était certes sympathique, mais il avait peu de chances d’être retenu, ne serait-ce que pour l’image qu’il risquait de donner, indirectement, de la nouvelle série 800, que nul ne pouvait imaginer sur un circuit ! Pourtant, malgré une opposition de plus en plus musclée, la Vitesse marchait encore très fort, et il est symbolique que lors de la dernière épreuve de la saison, à Estoril, trois SD1 se soient retrouvées à l’arrivée derrière la Ford Sierra qui remporta l’épreuve : pas mal pour une voiture dont la base de série remontait à une décennie.

Parmi les hommes qui ont contribué aux succès de la Rover SD1 en compétition, lesquels ont largement revalorisé l’image de la marque, il en est un qui, pour de multiples raisons, mérite un hommage particulier : le Néo-Zélandais Denis Hulme, «The Bear» pour ses amis, disparu en course en 1992. Le covainqueur (du moins à la photo-finish) des 24 Heures du Mans 1966, champion du monde de formule 1 en 1967 et double champion Canam en 1968 et 1970, n’avait certes plus rien à prouver quand il prit le volant d’une SD1 de Groupe A pour Tom Walkinshaw en 1986, mais il le fit comme à son habitude, en grand pilote. A Silverstone, en juillet 1991, interviewé par Jacques Vassal pour «Auto-Passion», Denis Hulme se rappelait la Vitesse qu’il partageait à Spa-Francorchamps, cette année-là, avec Armin Hahne et Jeff Allam. «C’étaient des voitures extra, celle-ci va devenir une voiture de collection. J’ai fait les 24 Heures de Spa là-dessus, mais nous n’avons pas eu de chance. Nous avons été en tête, mais c’est l’histoire d’un tas de gens qui sont en tête et qui cassent. Mais j’ai gagné ici, avec Jeff Allam, le Tourist Trophy, quelques mois plus tard. Alors, c’est une bonne saison à se rappeler aussi.»

Bernard PECHEUR